Traoré, Kassilé Abdoulaye (ca. 1936-2017)(FR)

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Traoré Kassilé avant sa conversion, en 1996, portant sa chemise pare-balles. Photo prise à Kotoura lors de la cérémonie de sa consécration à la confrérie des dozos.

Sa naissance, son enfance, ses difficultés

Traoré Kassilé est né vers 1936 à Kotoura dans la province du Kénédougou, Burkina Faso. Sa mère s’appelait Ndjofon, et son père s’appelait Konré. Kassilé était Sénoufo tagba, donc du groupe ethnique tagba, et il parlait le sicité (dialecte de sénoufo) et le dioula. Il comprenait un peu le français mais ne le parlait pas. Comme il a été d’abord musulman, il avait aussi un nom musulman, Abdoulaye. Il a gardé ce nom après sa conversion. Il avait trois frères et deux sœurs.

Kassilé avait trois épouses. La première, Dissa Tchitilo dite Sita, était de Kangala. La deuxième, Traoré Tétala dite Karidja, était de Kotoura et est décédée tôt, vers 1998. La troisième, Ouattara Alimata, était de Kotoura également.

Kassilé avait une vingtaine d’enfants. Il prenait aussi soin des enfants de ses frères qui étaient morts jeunes. Ses petits-enfants issus de ses fils étaient à peu près une vingtaine. Quant aux petits-enfants issus de ses filles qui se sont mariées dans le village, ils avoisinaient trente.

Kassilé a souffert pendant son enfance, car sa maman, après le décès de son papa, est allée se remarier ailleurs. Il a vécu avec son oncle à Kangala, et une autre femme l’a élevé. Il n’a pas été à l’école. Il était maladif, et il avait même un pied qui était un peu déformé à cause d’une maladie. Le grand frère de Kassilé était dans l’armée. Au retour de son service militaire la famille s’est réunie, car Kassilé et son frère ont fait venir leur maman au village pour être à leurs côtés. Comme métier, Kassilé exerçait la couture. Il était l’un des derniers tailleurs de la région à maîtriser la mode Senoufa Tagba.

Les circonstances de la conversion de Kassilé

Kassilé s’est converti en 2005, vers l’âge de 69 ans. Sa conversion a été un long processus à plusieurs étapes. Il a d’abord commencé par changer d’attitude envers la foi de son premier fils Mamadou. Mamadou, un infirmier et un chrétien, avait commencé à prier depuis 1991 pour la conversion de son père. Au départ, Kassilé s’était opposé à la foi de son fils. Mais suite à la prière de Mamadou, il a fini par lui écrire une lettre pour lui dire qu’il acceptait sa foi. Dans la lettre, Kassilé a dit qu’il ne s’opposerait plus au choix de Mamadou de suivre Jésus. Kassilé a reconnu qu’il avait été lui-même le premier à trahir son père (qui était de la confrérie des chasseurs et un féticheur) en adoptant l’Islam. Logiquement, si son fils abandonnait maintenant l’Islam pour devenir chrétien, il ne pouvait pas s’en prendre à lui. Il lui a donné la liberté de continuer à suivre son Jésus. Mais il lui a recommandé fortement de lui rendre visite chaque mois.

Mamoudou a obéi à cette recommandation de Kassilé. À trois reprises, Kassilé a été étonné de la façon dont son fils le retrouvait facilement lors de ses visites, au point où il disait à son fils que les chrétiens devaient avoir un secret. Autrement, il ne pouvait pas comprendre comment son fils le retrouvait à ces endroits sans aucune communication préalable. Son fils lui répondait toujours que c’était Jésus Christ qui avait organisé ces rencontres.

Kassilé a continué à vivre avec une soif de découvrir qui était Jésus. Par exemple, il aimait avoir des échanges avec les chrétiens de Kotoura, qui formaient une assemblée de l'Église Évangélique Mennonite du Burkina Faso (EEMBF), lorsqu’ils évangélisaient la région (voir l’histoire de Tiéba Traoré). Il aimait leurs chants d’adoration, et lorsque ces chrétiens lui ont dit que cette louange allait se poursuivre même au ciel, il a gardé cela à l’esprit. À au moins cinq reprises, il a pris la décision d’aller se convertir et a même pris la route pour aller à l’église, mais chaque fois il s’est arrêté à la porte et s’est retourné. Chaque fois, quelque chose lui disait qu’il était déjà vieux, et que cela ne valait pas la peine de se mêler à des enfants qui ne faisaient que chanter, jouer des instruments, taper les mains et danser. Chaque fois, il a rebroussé chemin.

La conversion de Kassilé s’est enfin produite chez son fils Mamadou à Sindou. En effet, Mamadou avait rendu visite à Kassilé qui était malade, à Kotoura. Quand il voulait repartir à Sindou, une voix lui a dit intérieurement de ne pas partir sans son père, sinon il ne reviendrait pas le trouver vivant. Comme Mamadou avait eu auparavant une révélation que son papa ne mourrait pas sans connaître le Seigneur, il a pris la chose au sérieux. Kassilé, qui était préparé pour le voyage avec son fils, est parti sans discuter.

Arrivé à Sindou chez son fils, un jour Kassilé a fait un songe. Dans son songe, il était en train de partir à Maon. Arrivé au carrefour Kotoura-Kangala-Maon, il y avait des hommes qui refaisaient le toit d’une maison en paille. Kassilé a entendu un gémissement, et s’est retourné pour aller voir ce qui se passait. En entrant dans le vestibule de la maison, une case à deux portes, il a vu qu’on avait attaché un jeune homme à côté d’un gros fétiche dans un morceau de canari. Des gens étaient en train de faire le toit, après quoi ils allaient égorger le jeune homme. Kassilé a reproché aux hommes que leur travail de toiture n’était pas bien. Il leur a demandé pourquoi ils n’allaient pas sacrifier un animal à la place du jeune homme. À ces mots, deux lépreux sont sortis et ont barré les deux portes du vestibule. Ils lui ont dit : « Tous ceux qui passent ici ont vu le jeune homme attaché et n’ont rien dit. Mais comme tu ne peux pas passer sans te taire, c’est toi qui seras égorgé à la place du jeune homme ». Kassilé a commencé à crier et à appeler le nom de Jésus en sénoufo : « Jésus, viens me sauver ! Jésus, viens me sauver ! » Pendant qu’il criait, un homme est descendu dans la maison, s’est arrêté entre les lépreux et Kassilé, et lui a dit de sortir. C’était un homme vêtu de blanc, avec une longue robe très blanche et une belle chevelure, bref, un homme indescriptible. Lorsque Kassilé est sorti, cet homme est resté avec les lépreux. C’est à ce moment-là que Kassilé s’est retrouvé dans son lit. Ensuite il a vu Jésus – qui ressemblait à celui du film Jésus – au chevet de son lit, les bras tendus. Jésus lui a dit, « Regarde. Si je n’étais pas venu, tu serais mort aujourd’hui. Je suis venu te sauver. Regarde mes mains ». Kassilé a vu le sang tomber en grosses gouttes des mains de Jésus. Puis Jésus lui a dit : « Est-ce que tu vas m’accepter maintenant ? » Kassilé a dit « Oui ». Jésus lui a répondu « Ton fils te parle de moi, mais tu n’as jamais accepté. Si je n’étais pas venu, tu serais mort. Même ton petit-fils t’a parlé de moi ». Après avoir vu tout cela dans le rêve il s’est réveillé dans son lit.

C’est après cela que Kassilé a pris la décision de se convertir. Le pasteur Bado de la paroisse des Assemblées de Dieu à Sindou l’a conduit dans la prière. Par la suite, il est reparti converti chez lui à Kotoura.

L’impact de la conversion de Kassilé

Kassilé était un membre influent de la société secrète d’hommes chasseurs, les dozos. Les dozos sont actifs en Afrique de l'Ouest, où ils utilisent leurs prouesses de chasse et leurs pouvoirs mystiques pour combattre le crime, comme une force de l’ordre traditionnelle respectée, parallèle en quelque sorte à la police. Kassilé était très craint dans la région, à la fois en raison de son appartenance aux dozos et parce qu'il était un fétichiste qui possédait une case censée abriter un puissant génie. À cette case, un bélier était sacrifié chaque année. Et la case était visiblement sans porte. Cependant il y avait un semblant de porte, mais vraiment condamnée. Elle ressemblait à une pierre, que personne ne pouvait soulever sans aide surnaturelle.

De retour à Kotoura, un jour Kassilé a envoyé une lettre à son fils pour lui dire de choisir une date avec le pasteur Bado pour qu’il aille brûler ses fétiches, y compris sa case de génie À la date choisie, le pasteur Bado était accompagné du pasteur Mamadou Traoré de la paroisse de Kotoura, et du fils de Kassilé, Mamadou. Lorsqu’ils sont arrivés, tous les membres de la famille ont fui la cour, craignant ce qui se passerait si le génie était chassé. Et le pasteur Bado a détruit la case du génie. Sous la grosse pierre qui servait de porte, lui et les autres ont trouvé quatorze peaux de béliers, sans compter celles qui étaient pourries. En effet, il s’agissait des peaux de béliers qui étaient sacrifiées chaque année à la maison de génie. Toutes ces peaux, la case de génie et les fétiches ont effectivement été détruits.

En voyant la destruction de ses fétiches, y compris sa case de génie, les gens du village n’en revenaient pas. Tous étaient étonnés. Connaissant Kassilé, certaines personnes avaient dit qu’il n’allait pas pouvoir tenir ferme dans la foi. D’autres disaient même que s’il arrivait à faire une année avec Jésus Christ, tout le monde allait se convertir à Kotoura. Mais par la grâce de Dieu, Kassilé a vécu douze ans avec le Seigneur. Bien que les habitants de Kotoura s’attendissent à ce que le génie fasse du mal à Kassilé ou à l’un des autres, personne n’a jamais été blessé. Jésus avait vaincu le démon, et il n’est jamais revenu.

La consécration de Kassilé après sa conversion s’est révélée être authentique. En fait, avant sa conversion, Kassilé tenait particulièrement à sa chemise de guerre pare-balle qui le rendait intouchable en tant que guerrier dozo. Il avait d’ailleurs exigé que, selon les coutumes, son fils Mamadou porte cette chemise le jour de la mort de son père, pour exprimer qu’il était son digne fils. Il l’a même menacé en disant que Mamoudou pouvait bien être chrétien, mais si, le jour de la mort de Kassilé, il ne portait pas ce vêtement, il verrait son père vivant ! Mais quand Kassilé s’est converti, il s’est débarrassé de cette chemise. Cela a eu un impact sur un autre de ses fils, du nom de Tiéba, qui, voulant se procurer cet habit, l’a retrouvé dans un puits, gâté et rongé par les termites. Cela a été pour lui le signe que son papa s’était véritablement converti.

La conversion sincère de Kassilé a poussé certains membres de sa famille à suivre Jésus. Ses deux épouses qui étaient encore vivantes, Sita et Alimata, se sont converties. Dans sa famille, un homme qui s’appelle Brama s’est également converti. Certains membres de la famille de sa mère, une famille puissante au Mali, se sont également convertis.

Kassilé témoignait aussi de sa foi autour de lui. Par exemple, il a donné une Bible en dioula à un ancien de l’église de Kotoura, pour qu’il la remette, le jour de la mort de Kassilé, à un de ses enfants. Il voulait que ce geste serve de témoignage à ce jeune, et qu’il comprenne que Kassilé son père l’encourageait à tout suivre dans ce livre pour qu’il se convertisse à Jésus-Christ.

Pendant toute sa vie chrétienne, Kassilé a participé activement à la vie de l’église en payant régulièrement sa dîme. Il faisait aussi des dons et des largesses. Il a eu à donner un bœuf de façon vraiment désintéressée à l’église à peu près quatre fois. En le faisant, il était béni davantage par le Seigneur.

Le témoignage de Kassilé a été un encouragement pour de nombreuses personnes au sein de l’EEMBF et en dehors, qui étaient impressionnés de voir quelqu’un qui accepte de croire malgré l’âge avancé. Sauf en cas de maladie, Kassilé n’a jamais raté un culte de dimanche à Kotoura. Les membres de l’église se disaient que si quelqu’un comme lui, malgré son âge, pouvait aller jusqu’à se lever et danser dans l’église, cela montrait qu’il y avait quelque chose d’important dans l’Évangile. Ils en ont tiré la leçon qu’on doit prendre l’affaire de Dieu de tout son cœur. Que l’on soit enfant, jeune ou vieux, c’est une affaire qui concerne tout le monde.

De la même façon, beaucoup de gens pensaient que la foi chrétienne était une affaire pour les pauvres seulement. Mais Kassilé a laissé un impact notable, car tous savaient qu’il était nanti. Avant sa mort, il avait près de trois enclos de bœufs qu’il faisait paître par d’autres dans les champs entre Sokouraba et Moussodougou. Les gens croyaient aussi que les blancs donnaient de l’argent ou un salaire à ceux qui arrivaient à faire convertir une personne. Même ses propres fils disaient que les chrétiens avaient trompé leur papa pour le faire entrer dans la foi chrétienne, afin d’avoir le prix de sa conversion. Mais le témoignage de Kassilé a fait comprendre aux gens que ce n’était pas la misère qui l’avait conduit au Seigneur. Au contraire, lorsque Dieu appelle, on vient à lui à partir de la position dans laquelle on est. Certes il était misérable au début, mais avant sa mort ceux qui s’étaient endettés auprès de lui étaient nombreux.

Kassilé n’a pas fondé d’église, mais il est resté dans l’église de Kotoura jusqu’à sa mort. Cependant, ce n’était pas la couverture dénominationnelle qui comptait pour lui, mais vraiment le Christ et lui seul. Il avait toujours tellement de respect pour le Christ qu’il ne prononçait jamais son nom à voix haute, mais l’appelait seulement nangé, ce qui signifie en Sénoufo « l’homme fort ». À son fils Mamoudou, il disait souvent : « Même quand je suis triste, quand je pense à l’homme-là... je le revois encore à mon chevet. Quand je le revois, j’ai la joie... Quand je veux prendre une décision, quand je pense à lui – même quand je suis fâché, quand je pense à lui – je me calme. » Une fois par année, il rendait visite au pasteur Bado de l’église de Sindou avec lequel il s’était converti.

La mort de Kassilé

Avant la conversion de Kassilé, un marabout prédicateur de l’avenir lui avait dit qu’il allait mourir à quatre-vingts ans. Lorsque son fils Mamadou a entendu cette histoire après la conversion de son père, il a prié, « Maintenant qu’il est en Christ, Seigneur, qu’il ne meurt pas à quatre-vingts ans. Même si c’est un an de plus, que tu lui donnes cela. » En 2017, Mamadou a entendu le Seigneur lui dire, « Comme tu m’as demandé d’allonger sa vie, je t’ai répondu. Mais cette fois-ci c’est sa dernière Pâques. » Effectivement, Kassilé est tombé malade. Après avoir eu des soins à Kotoura, Sindou, et enfin à Bobo-Dioulasso, il n’arrivait plus à supporter la maladie. C’est ainsi que Kassilé a rendu son dernier souffle le 19 octobre 2017 à l’hôpital de Bobo-Dioulasso. C’était une sorte de victoire, parce qu’il est mort à l’âge de quatre-vingts-et-un ans, dépassant la prédiction du marabout. Ses funérailles ont été organisées par l’église de Kotoura, et son enterrement y a eu lieu le 20 octobre 2017 avec dignité et honneur.

Cette biographie est réimprimée ici avec permission du Dictionnaire Biographique des Chrétiens d’Afrique – DIBICA (www.DACB.org). Vous pouvez consulter l’article originel ici: https://dacb.org/fr/stories/burkinafaso/traore-kassile/

Voir également Traoré, Kassilé Abdoulaye (ca. 1936-2017)

Bibliographie

Traoré Mamadou, infirmier à la retraite, premier fils de Kassilé, interviewé par Traoré Kari le 17 décembre 2021 à Sindou, province de la Léraba, au Burkina Faso. Mamadou est en train de rassembler tous les évènements de la vie de Kassilé afin d’écrire un livre concernant sa vie chrétienne, mais l’écrit n’est pas encore fait ni publié.

Traoré Seydou, ancien de l’église de Kotoura, ami et beau-frère de Kassilé, interviewé par Traoré Kari le 18 décembre 2021 à Kotoura, province du Kénédougou, au Burkina Faso.

Traoré Daouda, pasteur de l’église de Kotoura, interviewé par Traoré Kari le 18 décembre 2021 à Kotoura, province du Kénédougou, au Burkina Faso.


Author(s) Kari Traoré
Date Published April 2022

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